
"Je ne naîtrai pas."
Non, c'est pas moi qui le dit, c'est Tadeo Igamas.
Bah je ne sais pas pourquoi, c'est à cause de Koltès, Vio, que je pense à ce poète espagnol contemporain, presque inconnu. Solitaire, désespéré comme
Quai Ouest, mais hurlant la vie.
C'est ma tante Elena qui me l'a fait découvrir.
"Je ne naîtrai pas.
C'est décidé, je ne pousserai pas la porte.
Je resterai là, recroquevillé,
rivé à l’outre, à l’outre-présent,
lové comme un chien dans le grand intérieur.
Alors, n’insistez pas, je ne naîtrai pas.
[...]
Je vous laisse le Dehors,
je vous laisse le vent hurlant,
je vous laisse le futur et la mort lente des fous.
C’est dit : je ne naîtrai pas.
Je ne veux connaître ni l’air du temps,
ni la poussière rouge des chemins.
Je ne veux pas fouler l’asphalte des routes
ni frotter mes doigts gourds sous le froid des ponts.
Je ne naîtrai pas. [...]
Je ne veux pas lever les yeux vers la Grande Ourse
je ne veux pas suivre le pas des enfants-soldats,
je ne veux pas rire avec les hyènes,
je ne veux pas attendre, sourdre, jaillir, exulter,
je ne veux pas pleurer l’absent,
je ne veux pas regarder couler le flot obscène des fontaines aux dollars,
je ne veux pas cueillir la dernière feuille du dernier arbre de la dernière forêt,
je ne veux pas caresser de ventre,
je ne veux pas danser dans les néons.
[...]
Je n’écrirai pas mon nom sur le sable,
je veux rester sans nom.
je ne naîtrai pas.
Rester l'inassouvi."
Tadeo Igamas, "Mésattentes", 1971.